Avec plus ou moins de discrétion, le graphisme nous influence et change le monde. On va parler de quelques rares moments où le graphisme s’est retrouvée sur le devant de la scène.
Le « B » de la rébellion
L’histoire : Nous sommes à Auschwitz au crépuscule des années 30. A l’entrée du camp est visible une arche d’acier avec la devise « ARBEIT MACHT FREI » (« le travail rend libre »). Cette même devise qui a illustré nos livres d’histoire pour nous préparer à l’horreur des camps. Pourtant, a y regarder de plus près cette arche, un détail nous interpelle. Le « B » de « ARBEIT » est à l’envers, que s’est-il passé ?
Dans un de ses témoignages, le survivant Tadeusz Szymanski raconte une conversation qu’il a eu après la libération avec un autre survivant forcé à travailler aux ateliers de ferronnerie du camp. Quand les SS ont donné l’ordre de souder les lettres, les travailleurs ont délibérément soudé ce « B » à l’envers en signe de rébellion.
En quoi ça a changé le monde : C’est sûrement le symbole le plus ambigu de la seconde guerre mondiale. Là où les SS voyaient la domination nazie tandis que certains prisonniers y voyaient du courage et un pied de nez au régime. Les survivants se sont souvenus de ce B renversé qui traverse l’Histoire. En 2010, une sculpture commémorative à l’initiative de l’artiste Michèle Déodat et du Comité international d’Auschwitz parcoure le monde.
La morale de cette histoire : Les nazis sont pas très forts en typo.
Une mise en page douteuse aux élections américaines
L’histoire : L’élection américaine de 2000 où le Républicain Georges Bush affronte le Démocrate Al Gore bat son plein. La Floride, territoire particulièrement déterminant dans cette élection, invite ses citoyennes et citoyens à voter. Un système de vote par « punch card » qui consiste à voter en poinçonnant à l’endroit lié au candidat. Avec cette méthode, le décompte des vote est automatisé et beaucoup plus pratique.
Pratique à un détail : les votes sont présentés sur une double page qui se lit en zig-zag et un endroit où poinçonner au milieu. Une mise en page très déconcertante et absolument pas intuitive où certains votants avouent s’être perdus. En pensant voter Al Gore (3e poinçon), ils ont utilisé le second poinçon. Certains soutiens s’en rendent compte à posteriori et demandent en vain de recommencer le vote.
En quoi ça a changé le monde : On ne saura jamais le nombre de votes démocrates comptés en faveur de Pat Buchaman. George W. Bush a-t-il en partie gagné cette élection sur ce malentendu ?
La morale de cette histoire : Les documents les plus institutionnels ont besoin d’un graphisme clair et évident. Ce cas laisse planer le doute. Au mieux, cette mise en page à été faite en ignorant les contraintes de format ou par manque d’outils. Au pire, nous sommes sur un dark pattern voulant intentionnellement égarer l’électorat du candidat démocrate.
La mauvaise Miss Universe 2015
L’histoire : Le concours de Miss Univers 2015 est présenté par Steve Harvey. Au moment décisif d’annoncer l’heureuse gagnante, le host annonce que l’heureuse élue est Miss Colombie. Après une l’explosion de joie de l’intéressée, Harvey annonce, confus « OK folks … I have to apologize ».
Le titre de Miss Univers 2015 est en fait Miss Philippines. Que s’est-t-il passé pour se tromper à un moment aussi important ? Le présentateur a avoué avoir lu la carte un peu trop vite. Sur une ligne on peut lire « 1st » et « Miss Columbia » et en petit dans un coin de page « Miss Philippines ».
En quoi ça a changé le monde : On a eu un léger incident diplomatique que tout le monde à oublié. On a surtout bien rigolé sur Twitter est eu un des meilleurs memes de 2015.
La morale de cette histoire : Lire des fiches en public c’est comme circuler en voiture en centre-ville. On avance, des choses se passent et la signalétique a intérêt d’être claire si on ne veut pas faire d’erreurs. Le graphiste des fiches de Miss Univers aurait du se mettre à la place de Steve Harvey.
Un premier ministre Pakistanais destitué à cause d’une police d’écriture
L’histoire : Le scandale des Panamas Papers de 2016 a permis de lever le voile sur certains cas de fraude fiscale. Celui qui nous intéresse ici implique l’ancien premier ministre Pakistanais Nawaz Sharif. En effet, ce dernier ne parvient pas à justifier certains de ses revenus. La Joint Investigation Team, police pakistanaise préposée au dossier témoigne dans son rapport : « Aucune des personnes interrogées n’a pu fournir d’informations tendant à attester de “sources de revenus connues”, ce qui équivaut à être incapable de justifier ses ressources ou la source de ses revenus ».
Sommes-nous face à un cas de fraude fiscale ? Pas selon la famille Sharif, particulièrement sa fille. Au moment du procès, elle présente au tribunal les documents datant de 2006 pour justifier les revenus de son père. Petit problème : des experts en typographie passent en revue les documents et repèrent l’usage de la police Calibri. Une police crée en 2004 mais disponible au grand public seulement après l’arrivée de Widows Vista et Microsoft Office 2007 en … 2007.
En quoi ça a changé le monde : La typographie a participer à sauver la démocratie d’un pays ! Cool non ?
La morale de cette histoire : Il vaut mieux être ami avec un expert de la typo.
Le jour où la police d’écriture Helvetica est venue à la rescousse du métro New-Yorkais
L’histoire : Aujourd’hui à 468 stations et 370km de rails, la question de la réorganisation du métro New-yorkais s’est forcément posée. Même sans l’avoir pris, on connait ce métro pour ses codes graphiques clairs et sa signalétique omniprésente qui évite de s’égarer.
Mais ça pas toujours été le cas : New-York voit sa première ligne de métro sortir de terre en 1904. Fort de son succès, les années passent et d’autres lignes émergent. Problème : arrivé en 1932, le réseau est partagé par trois compagnies différentes qui gèrent chacune indépendamment leur part. Il faudra attendre 1940 et la faillite de ces compagnies pour la ville de New-York récupère et unisse la structure. Mais le réseau continue de s’étendre et le chaos grandi. Chaque station à une signalétique différente et rend donc l’expérience de navigation complètement sournoise.
La Metropolitan Transportantion Authority est créee en réponse à la grogne des voyageurs. 1966 marque un tournant : une équipe de designers pour mettre de l’ordre dans la cacophonie signalétique ambiante. La Helvetica se présente comme favorite. Normal : elle est familière aux yankees qui se rendent au stade de baseball et on l’a récemment vue sur les logos de marques connues comme Jeep, Target et American Airlines. Pourtant, la Standard Medium sera choisie, faute de budget. Il faudra alors attendre la méthode de production par phototype pour mettre toute la signalétique en Helvetica.
En quoi ça a changé le monde : Ce n’est pas l’unique coup de la police Helvetica : après avoir rendu le métro New-yorkais plus agréable et moins sournois dans les années 60 et 80, sa croisade d’uniformisation des images se poursuit : il suffit de regarder l’évolution des logos des dernières années pour se rendre compte que cette police est l’ambassadrice de la mondialisation.
La morale de cette histoire : Avoir une charte graphique peut coûter cher mais ne pas en avoir coûtera certainement plus.
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